Paroles: Tristan Corbière. Musique: Daniel Lafontaine

On ne les connaît pas, ces gens à rudes nœuds.

Ils ont le mal de mer sur vos planchers à bœufs;

À terre , oiseaux palmés, ils sont gauches et veules

Ils sont mal culottés comme leurs brûle-gueules.

Quand le roulis leur manque... ils se sentent rouler :

À terre, on a beau boire, on ne peut désaoûler


Eux ils sont matelots à travers les tortures,

Les luttes, les dangers, les larges aventures

Leur face-à-coups-de-hache a pris un tic nerveux

D'insouciant dédain pour ce qui n'est pas Eux...

C'est qu'ils se sentent bien, ces chiens! Ce sont des mâles!

Eux : l'Océan! Et vous : les plates-bandes sales.


Eux sont les vieux de cale et les fréres-la-côte,

Gens au cœur sur la main, et toujours la main haute;

Des natures en barre!  Et capables de tout...

Faites-en donc autant! ... Ils sont de mauvais goût...

Ces anges mal lèchés, ces durs enfants perdus!

Leur tête a du requin  et du petit-Jésus.


Ils ont toujours, pour leur bonne femme de mère

Une larme d'enfant, ces héros de misère;

Pour leur Douce-Jolie, une larme d'amour! ...

Au pays ,  loin , is ont, espérant leur retour,

Ces gens de cuivre rouge, une pâle fiancée

Que, pour la mer jolie, un jour ils ont laissée.


Elle attend vaguement... comme on attend là-bas.

Eux ils portent son nom tatoué sur leur bras.

Peut-être elle sera veuve avant d'être épouse...

Car la mer est bien grande et la mer est jalouse.

Mais elle sera fière, à travers un sanglot,

De pouvoir dire encore : II était matelot!


On en voit revenir pourtant : bris de naufrage,

Ramassis de scorbut et hachis d'abordage...

Cassés, défigurés, dépaysés, perclus :

Un œil en moins. — Et vous, en avez-vous En plus?

On m'a pendu deux fois... Et l'honnête forban

Creuse un bateau de bois pour un petit enfant


Ils durent comme ça, reniflant la tempête

Riches de gloire et de trois cents francs de retraite,

Vieux culots de gargousse, épaves de héros! ...

Héros? — ils riraient bien ! ... Non-merci : matelots!

Allez, on n'en fait plus de ces purs, premier brin!

Tout s'en va... tout! La mer, elle n'est plus marin!


La mer n'est plus qu'une fille à soldats! ...

Vous, matelots, rêvez, en faisant vos cent pas

Tel qu'une vieille coque, au sec et dégréée,

Où vient encor parfois clapoter la marée :

Ame-de-mer en peine est le vieux matelot

Attendant, échoué... — quoi : la mort? Non, le flot.