Paroles: Tristan Corbière. Musique: Lino Léonardi

Allons file, mon cotre! Adieu mon Négrier.

Va, file aux mains d’un autre, qui pourra te noyer.

Adieu, rouleur de cotre, roule mon Négrier

Sous les pieds plats de l’autre, que tu pourras noyer.


Nous n’irons plus sur la vague lascive, nous gîter en fringuant!

Plus nous n’irons à la molle dérive, nous rouler en rêvant..

Va! Nous n’irons plus rouler notre bosse.  Tu cascadais fourbu

Les coups de mer arrosaient notre noce. Dis : en avons-nous bu!


Va, noceur de cotre! Noce, mon Négrier!

Que sur ton pont se vautre, un noceur perruquier.

Va, pourfendeur de lames, pourfendre, ô Négrier!

L’estomac à des dames, qui paieront leur loyer.


Et sur le dos rapide de la houle, sur le roc au dos dur,

Á toc de toile allait ta coque soûle...Mais toujours d’un oeil sûr!

Il faisait beau quand nous mettions en panne,

Vent-dedans vent-dessus; Comme on péchait!...

Va je suis dans la panne où l’on ne pêche plus.


Va te soûler, mon cotre, à crever! Négrier.

Et montre bien à l’autre qu’on savait louvoyer.

La mer jolie est belle, et les brisants sont blancs...

Penché, trempe ton aile, avec les goélands!...


Et cingle encor de ton fin mât-de-flèche, Le ciel qui court au loin.

Va! qu’en glissant, l’algue profonde lèche ton ventre de marsouin!

Que la risée enfle encor ta fortune, en bandant tes agrès!

Moi plus d’agrès, de lest, ni de fortune... Ni de risée après!


Va, sans moi, sans ton âme; Et saille de l’avant!...

Plus ne battras ma flamme qui chicanait le vent.

Va-t’en, humant la brume, sans moi, prendre le frais,

Sur la vague de plume... Va .. Moi j’ai trop de frais..


Légère encor est pour toi la rafale, qui frisotte la mer!

Va. Pour moi seul, rafalé, la rafale soulève un flot amer!

Tu peux encor échouer ta carène sur l’humide varech;

Mais moi j’échoue aux côtes de la gène, faute de fond - à sec


Allons file, mon cotre! Adieu mon Négrier.

Va, file aux mains d’un autre, qui pourra te noyer.

Dans ton âme de cotre, pense à ton matelot

Quand, d’un bord ou de l’autre, remontera le flot.